Au quotidien, l’expert-comptable est le confident, l’oreille à qui parler du dirigeant, celui qui voit les chiffres et anticipe les obstacles. Il est le premier maillon de la chaîne de prévention formée autour des entreprises qui font face à des difficultés. À ses côtés, l’avocat, l’administrateur judiciaire et le tribunal de commerce œuvrent pour conseiller les entreprises dans le choix d’une procédure adaptée. Amiable ou collective, le maître-mot en cette rentrée reste l’anticipation. L’arrêt progressif des aides et le remboursement des PGE doivent être envisagés bien en amont pour éviter l’engorgement. État des lieux, avec les différents acteurs de la prévention, des procédures à enclencher pour prévenir les difficultés dans les mois qui viennent.
Interview de Thierry GARDON, Président du Tribunal de commerce de Lyon
Quelle est la santé des entreprises en cette rentrée ?
» En termes de défaillances d’entreprises, nous sommes sur le même rythme qu’au premier semestre 2020 avec une visibilité à un mois. Depuis mai, nous avons réduit nos audiences en chambre de conseil pour les procédures collectives. Nous n’envisageons pas pour le moment de reprendre un rythme normal car, avec les aides mises en place par l’État, le nombre de déclarations de cessation à traiter reste relativement faible. Passé la zone de turbulences que nous venons de vivre, la machine va se relancer et les différents organismes fiscaux et sociaux, les fournisseurs, les caisses professionnelles, vont de nouveau assigner les entreprises en difficulté. Nous ne devrions pas assister à une envolée du nombre de défaillances d’entreprises sur la fin de l’année mais plutôt après le printemps 2022, le temps que tous ces organismes reprennent leur fonctionnement. Tout l’enjeu aujourd’hui est d’anticiper et de juguler les difficultés à venir.«
Vous êtes au quotidien avec les entreprises, quelles sont vos principales inquiétudes ?
« Au-delà de l’impact financier, un des facteurs inquiétants reste l’accès aux matières premières. Ruptures, problèmes de logistique, augmentation du coût du transport, prix de containers multipliés par quatre ou cinq selon les zones… Toutes ces nouvelles données vont avoir un impact immédiat sur les entreprises. L’emploi est le deuxième point de vigilance. Les impératifs de vie ont changé et les répercussions sociologiques ne sont pas à négliger. Elles ont déjà un impact sur l’emploi et les ressources humaines. Dans tous les secteurs, les entreprises rencontrent des difficultés à recruter et à trouver du personnel. »
Quel lien entretenez-vous avec les experts-comptables ?
« L’expert-comptable joue un rôle central d’anticipation et de sensibilisation. Pendant cette crise, nous avons renforcé nos liens avec l’Ordre pour communiquer, former, informer également sur le droit des entreprises en difficulté. Des mécanismes comme « Bol d’air » ont aussi été lancés. Nous avons mis en place une convention (voir page 31) avec l’Ordre pour fluidifier nos relations afin d’anticiper et de traiter rapidement les difficultés à venir. La crise a enclenché une vraie prise en compte de la nécessité de travailler en coordination et au plus près de l’ensemble des parties prenantes du monde de l’entreprise. »
Cette crise a-t-elle changé votre façon de travailler ?
« Elle nous aura permis de nous exprimer, de faire front ensemble avec nos différentes professions, sans oublier les associations. Notre objectif : casser cette vieille culture française qui consiste à dire que celui qui a déposé le bilan était soit négligeant soit malveillant. Des facteurs exogènes, comme cette crise, peuvent être à l’origine d’une situation financière difficile. Nous avons aujourd’hui tout un arsenal qui nous permet d’anticiper et de trouver des solutions si les chefs d’entreprise nous font confiance et viennent nous voir au plus tôt. »
Le tribunal de commerce est un partenaire pour les chefs d’entreprise dont l’horizon peut être un peu flou. Quel message avez-vous à faire passer ?
« Venez nous voir en amont. Notre engagement ne se limite pas à « déposer des boîtes » mais bien au contraire à trouver des solutions pour sauver des entreprises, sauver des emplois et assurer une certaine poursuite d’activité. Il faut que le dirigeant ait confiance en nous, en notre indépendance, notre professionnalisme et notre volonté de travailler au plus tôt avec eux pour limiter les risques et éviter le pire. Nous recevons souvent des dirigeants angoissés dont les difficultés ne datent pas d’aujourd’hui, qui ne dorment plus depuis déjà six mois. Ils rentrent dans nos bureaux et jouent leur entreprise. Nous devons leur donner confiance, leur proposer des solutions et travailler en complémentarité avec toutes les professions. Je crois beaucoup en cette complémentarité. »
Quelles mesures pour la sortie de crise ?
« Des mesures sont en train d’être mises en place pour le traitement des entreprises en sortie de crise. Des négociations se sont déroulées au niveau européen pour que l’on puisse, sous certaines conditions, étaler le remboursement du PGE, dans le cas où une procédure est ouverte dans notre juridiction. Une nouvelle procédure dite de sortie de crise a été mise en place. Elle court sur trois mois et reste très adaptée au traitement de ces dettes Covid qui sont venues s’ajouter à l’endettement des entreprises. »
Une situation de concurrence biaisée
« Pour qu’il y ait de la croissance, il faut de l’innovation et une vraie liberté d’entreprendre. La protection des entreprises qui développent de la richesse est nécessaire avec un contrôle de celles qui consomment de l’argent public sans créer de richesses. Nous n’avons pas eu d’assignation du Trésor Public depuis un an et demi et certaines entreprises ne devraient plus être là. Elles créent aujourd’hui une sorte de concurrence déloyale. Nous devons revenir à un fonctionnement de l’économie logique pour que les acteurs de l’économie se retrouvent dans une situation de concurrence normale. L’entrepreneur doit être récompensé pour la qualité de son travail et ces perfusions ne doivent pas venir contrarier cet ordre économique. »